Un immense ruban de couleur brunâtre s’étend désormais sur des milliers de kilomètres entre l’Afrique et l’Atlantique. Ce phénomène spectaculaire, visible depuis l’espace, n’est pas seulement une curiosité naturelle. Il intrigue, inquiète et nous pousse à nous interroger sur nos rapports avec la nature et les conséquences inattendues de nos activités.
Un géant qui s’allonge entre les continents
Ce que l’on appelle la Grande Ceinture de Sargasses de l’Atlantique (GASB) est un gigantesque amas d’algues brunes flottantes, connu sous le nom de sargasses. En mai dernier, des satellites ont détecté environ 37,5 millions de tonnes de ces algues étirées entre l’Afrique de l’Ouest et le Golfe du Mexique.
Ce ruban, qui mesure désormais jusqu’à 8 850 kilomètres, n’existait pas sous cette forme avant 2011. Sa croissance rapide a été détaillée dans une étude publiée dans la revue scientifique Harmful Algae. Grâce à 40 années de suivi satellite et d’observations sur le terrain, les scientifiques confirment que ce phénomène est inédit à cette échelle.
Pourquoi ces algues prolifèrent-elles ?
Les sargasses ont besoin de nutriments pour se développer, et c’est précisément là que le problème commence. L’azote et le phosphore, présents en forte concentration, stimulent leur croissance. Des études ont montré que leur biomasse peut doubler en onze jours dans des conditions optimales.
Entre 1980 et 2020 :
- La concentration d’azote dans les tissus d’algue a augmenté de 55 %
- Le rapport entre l’azote et le phosphore a bondi de 50 %
Ces chiffres illustrent un changement majeur. Les apports viennent désormais autant de sources humaines — agriculture, eaux usées, dépôts atmosphériques — que des remontées naturelles océaniques.
Le fleuve Amazone, en particulier, joue un rôle clé. Lors des crues, il libère beaucoup de nutriments dans l’Atlantique. Ces nutriments alimentent ensuite la GASB, transportée et maintenue par les grands courants marins comme le Gulf Stream.
Des impacts écologiques et économiques
Les radeaux de sargasses ne sont pas toujours nuisibles. À certaines étapes de leur développement, ils servent d’abri pour plus de 100 espèces marines, incluant poissons, crustacés et tortues. C’est pourquoi la NOAA (l’agence océanique américaine) les considère comme des habitats marins essentiels.
Mais à l’approche des côtes, la réalité est toute autre. Lorsque ces algues s’échouent en masse :
- Elles libèrent du sulfure d’hydrogène, un gaz toxique au contact de l’air
- Elles créent des zones mortes en asphyxiant l’eau et en tuant la faune locale
- Elles dégradent les plages touristiques et les récifs
- Elles provoquent des pertes économiques importantes pour le tourisme et la pêche
À titre d’exemple, certaines régions comme la Floride ont déjà dû faire face à des nettoyages coûteux, et même à l’arrêt d’infrastructures comme une centrale nucléaire en 1991 en raison d’un envahissement massif.
Un effet climatique en retour ?
La décomposition des sargasses à terre libère également des gaz à effet de serre comme le méthane. Cela fait craindre une boucle inquiétante : plus il y a d’algues, plus elles émettent des gaz, ce qui réchauffe l’atmosphère et rend leur prolifération encore plus facile.
C’est ce qu’on appelle une rétroaction climatique. Même si son impact total reste à évaluer, ce mécanisme pourrait bien aggraver les choses si rien ne change.
Ce qu’il faut faire pour agir à temps
Face à cette situation, les scientifiques lancent une alerte. Ils appellent à :
- Réduire les polluants à la source, notamment les engrais chimiques
- Renforcer la surveillance internationale via satellites et capteurs
- Améliorer les modèles de prévision pour anticiper les échouages
- Développer des stratégies locales de gestion sur les littoraux
Agir rapidement est crucial car ce phénomène ne montre aucun signe de ralentissement. Au contraire, avec le changement climatique et les activités humaines, le ruban brun pourrait bien devenir une présence permanente sur nos côtes.
Un défi à relever collectivement
Ce phénomène naturel amplifié par les activités humaines nous interroge. Il ne s’agit pas seulement de nettoyer les plages ou de sauver l’été touristique. Il faut comprendre ce que ce ruban brun dit des relations entre la terre, la mer et le climat.
Parce qu’il touche autant la faune, les populations, l’économie que l’atmosphère, il appelle des ripostes coordonnées. Et si on l’écoutait comme un message d’alerte ?




